

A l’Orée
Portraits de forêt
Girmont-Val-d’Ajol, 2017-2021
C’est par l’odeur que j’entre en forêt. Les mains posées de part et d’autre d’une empreinte, fugacement dessinée contre la terre, j’hume la vie passée par ici, quelques heures auparavant. En respirant le passage débusqué, j’ouvre comme un espace secret vers un autre monde. C’est ainsi que je vis la forêt. Ou que la forêt se vit à l’intérieur de moi. Comme une impression sensorielle, elle grave ses inépuisables histoires à travers la porosité de ma chair, traces fugitives que j’essaie ensuite de restituer par les mots et les images.
J’ai marché longtemps pour comprendre le sens de mes errances à travers les arbres, avant de comprendre que mon existence ne pouvait se faire qu’au creux des bois. A l’Orée raconte, dans ces interstices, les souvenirs de cette vie-là, simple, authentique, entière.



tu es venu
appelant depuis l’horizon
au-delà du torrent
qui nous séparait
tu es venu
pour me rappeler
le chemin

la marche est une clé
pour entrer
ici


comme un ruisseau
qui s’empreinte à la peau
comme une pierre
devenue langage

où es-tu
à quoi ressembles-tu
maintenant
ton image vacille
comme une flamme
dans le chant incertain
de la
mémoire

te rappelles-tu
cette roche
où dessinait une faille
où scintillait la couleur

que va-t-il se passer
ensuite

c’est un appel
une sollicitation lancinante
comme venue de l’intérieur
une direction s’impose
et me happe





Elle est à mes côtés. Le museau dirigé vers l’horizon, elle hume l’air sucré de ce début de printemps. Peut-être a-t-elle débusqué une odeur particulière ? Elle fait quelques pas. S’arrête. Respire une odeur, écoute. Se couche. Repart. Accélère.
Tout comme elle, je m’arrête, respire, écoute, m’assois, repars. Entre les arbres, mon rythme ralentit, pour mieux m’imprégner. Pour mieux ressentir. Pour devenir comme le monde dans lequel je baigne, et ne faire plus qu’un avec la vie.
Elle a tourné la tête vers les broussailles. Derrière le silence, elle reconnaît la présence de celui qui guette. Je tends l’oreille. J’essaie de rester le plus immobile possible. J’ai le sentiment que ma respiration est déjà trop bruyante en ce lieu, presque assourdissante.
Je fais un pas de côté, mais la frontière est tombée. Le chevreuil se retire dans les profondeurs du monde vert. Chacun de mes sourcillements est une trace qui s’imprime à la surface de la forêt.
Chaque geste est une vibration. Chaque passage est une métamorphose.

je rêve
la même terre
ocre des premières images
étalées à la main
sur le dos lisse
des pierres





écoute
écoute
encore
loin des humaines fièvres
il semblerait des battements
approche
tends l’oreille
encore un peu
on dirait une respiration

ta marche s’arrête à l’aube d’un chemin

à ton réveil
lorsque tu ouvres les yeux
tu reconnais le ventre qui t’accueille
tu es au creux
de l’autre lieu

la vie se reconnaît
aux empreintes laissées
dans la terre
à force de passage
aux mains posées
sur les racines
ou la peau d’une écorce


Combien de fois l’ai-je regardé, m’arrêtant devant avec envie et curiosité ? Combien de fois l’ai-je effleuré du bout des doigts, sans jamais oser l’emprunter ? Combien de temps suis-je resté sur le seuil de ce monde qui m’appelait, chuchotant mon nom, dans un frôlement de branche, dans le murmure du vent ?

j’écris
pour débusquer les lignes
de mon chemin



J’ai marché longtemps avant de naître. Avant de rejoindre la
vision du rêve. J’ai marché longtemps avant d’entrer, jusqu’au
plus profond de moi.

tes battements se font entendre
ta voix est déjà là

le jour est venu enfin
d’écarter les broussailles
de passer le visage
de l’autre côté de ce qui faisait ombrage
le jour est venu
de franchir l’orée de ton territoire
et de marcher les pieds enfouis profondément
dans la terre noire

c’est une manière de vivre qui s’impose
lorsque j’entre ici
sous les branches
gardiennes de mon humaine marche
je ralentis
je me silence
mon corps se mélange au territoire impermanent
d’esprits sauvages
et
entre terre et ciel
je deviens

il est peut-être temps de retrouver
le sentier où se rejoignent
les traces
des bêtes
sous lesquels
les mondes veillent
comme des rêves d’autrefois



A Oli.